Anaïs Carrazé est Dr junior en chirurgie colo-rectale au CHU de Bordeaux. Dans le service dans lequel elle travaille, des membres du personnel paramédical étaient autorisés à pratiquer des séances de réflexologie auprès des patients avec des soulagements remarqués par l’ancien chef de service, le Professeur Denos.
Aussi, l’objet de la thèse de médecine qu’Anaïs a réalisée ces dernières années s’est portée sur l’impact de la réflexologie plantaire sur l’incidence de l’ileus post-opératoire après chirurgie oncologique du rectum. Il s’agit semble-t-il de la première étude de recherche sur ce thème !
Le cancer du rectum représente 15% des cancers en France (plus de 43 000 cas par an) ce qui le porte au 3è rang des cancers les plus fréquents. Il induit, après chirurgie des désagréments voir des complications (appelées morbidités) comme l’arrêt du transit intestinal ou iléus post-opératoire pour près de 31% des patients pendant 1 à 7 jours. Cet arrêt du transit est souvent responsable de douleurs et de distensions, d’anorexies, de nausées et vomissements abdominales ainsi que d’autres inconvénients (appelés) comorbidités comme les pneumopathies d’inhalation (liées aux vomissements), les thromboses veineuses profondes (liées au retard de mobilisation) ou encore les désordres hydro-électrolytiques sévères. La qualité de vie des patients en est donc amoindrie encore et le coût social de santé augmenté encore par la durée d’hospitalisation prolongée, principalement.
Or, les traitements anti-symptomatiques de l’iléus post-opératoire par médication ‘chimique’ s’avèrent peu ou non efficaces. De plus, une part de la médication nécessaire à l’opération et notamment l’analgésie par opïodes contribue à la symptomatologie, qui est par ailleurs due au grand stress subit par le corps lors de la chirurgie. Anaïs en présente les mécanismes connus ou supposés dans sa thèse.
Son analyse de la littérature scientifique évaluant les effets de la réflexologie plantaire a fait ressortir certains atouts de la pratique de la réflexologie évaluée :
- · Une amélioration des douleurs chez les patients en post-opératoire d’une chirurgie digestive ainsi qu’une baisse de consommation d’antalgiques, notamment opioïdes.
- · Une amélioration de l’anxiété reconnu comme un facteur promoteur de douleurs susceptible d’avoir un impact négatif sur la récupération post-opératoire. Il en est de même pour le sommeil.
- · Une diminution des nausées et vomissements chez des patients en cours de chimiothérapie 24 heures après chaque séance de réflexologie. L’effet sur les nausées et vomissements n’a pas été évalué en contexte post-chirurgical.
- · Un intérêt dans la prise en charge de la constipation avec certaines études en faveur d’une amélioration de la qualité de vie et de la sévérité de la constipation.
Ces éléments ont contribué à guider la structuration de sa recherche sous forme d’essai randomisé contrôlé entre 2021 et 2023, avec 2 groupes de 56 patients adultes dont l’intervention était programmée, déterminés par tirage au sort : un groupe test recevant la réflexologie, un groupe témoin ne la recevant pas.
Parmi les critères d’inclusion / exclusion, les patients ne devaient pas présenter d’antécédents de troubles orthopédiques, psychologiques ou neurologiques. Le protocole prévoyait 3 séances de réflexologie de 40 minutes à J1, J2 et J3 après chirurgie. Les contraintes d’organisation n’ont pas permis à cette période de prévoir une intervention pré-opératoire.
Plusieurs critères étaient évalués, les principaux étant la reprise du transit manifesté par les selles, les nausées / vomissements, la reprise d’alimentation, la distension abdominale et les secondaires notamment l’évaluation Score I-Feed et la durée d’hospitalisation. Un psychologue est intervenu pour l’évaluation qualitative des ressentis des patients quant à leur transit, douleur, sommeil, relaxation, bien-être, supporter l’hospitalisation, limitation de la médication).
Finalement dans le groupe test seulement 42 ont pu recevoir la réflexologie en protocole complet ou partiel (à minima J+1).
Les résultats ont montré des différences significatives entre les 2 groupes :
· Iléus minimisé avec la pratique de la réflexologie selon les 2 modes d’évaluation et reprise des gaz/selles plus rapides.
· Nettement moins de douleur dans le groupe réflexologie, les 2 premiers jours
· Les patients du groupe contrôle (ne recevant pas la réflexologie) ont consommé plus d’antalgique mais la différence n’est pas suffisante pour être considérée comme significative.
· Les patients du groupe réflexologie ont repris une alimentation orale plus rapidement que les patients du groupe contrôle de manière significative (p = 0,01) en moyenne 1 jours plus tôt.
Par ailleurs, selon les entretiens avec les patients,
- 52% des patients ont rapporté un effet franc sur le transit, parfois immédiatement après chaque séance.
- 22% relataient une amélioration des douleurs et du sommeil.
- 80% des participants ont relaté la sensation de relaxation et de bien être apparaissait au premier plan de cette analyse avec 50% des participants considérant ces interventions comme aide pour supporter une hospitalisation vécue comme difficile et enfin presque 10% percevant cette thérapie comme un bon moyen de réduire les consommations de médicaments durant la période péri-opératoire.
Anaïs Carrazé a pu présenter sa recherche et ses résultats lors du congrès national de chirurgie digestives à Marne la vallée en septembre 2023.
Elle dresse ainsi le bilan de son étude :
« Notre étude représente, à notre connaissance, le seul essai évaluant l’impact de la réflexologie plantaire sur les symptômes de la période post-opératoire après une chirurgie rectale oncologique. Sa plus grande force était son design prospectif d’essai contrôlé-randomisé, ainsi que sa taille (108 patients inclus dans l’analyse). Un autre point positif était l’élaboration du protocole des séances de réflexologie en concertation avec un groupe de recherche en interventions non médicamenteuses, spécialisé en réflexologie plantaire, ayant permis d’homogénéiser le protocole de traitement afin de permettre la mesure des résultats.
Concernant ses limites, le recrutement des patients n'a été effectué que dans un seul centre de chirurgie colo-rectale, les résultats ne sont donc pas représentatifs de la population générale et une étude plus large garantirait que les résultats sont généralisables.
Bien que nous ayons obtenu des résultats positifs sur l’iléus et la douleur en post-opératoire, un autre point négatif était l’absence de réalisation du protocole complet de réflexologie à l’ensemble des patients du groupe d’étude. En effet, cela a pu être responsable d’une diminution de la taille d’effet et d’un manque de puissance dans la mesure de certaines variables. »
Ou en bref :
Cet essai contrôle randomisé a donc démontré que la réflexologie plantaire DIMINUE :
- L’incidence de l’iléus post-opératoire
- La durée de reprise des selles et la durée de reprise d’une alimentation normale
- Et enfin, la douleur post-opératoire.
- L’étude qualitative évaluant le vécu des patients concernant les séances de réflexologie démontre également une prépondérance d’effets bénéfiques sur le plan physiques et psychiques.
Son étude sera certainement publiées prochainement dans une revue scientifique internationale (mais pas encore).
Et très concrètement, depuis, une aide-soignante du service formée à la réflexologie a obtenu un poste de réflexologue à temps plein au sein du service !
Un grand merci à Anaïs Carrazé pour ce soutien apporté à la ‘communauté’ des réflexologues et des personnes souhaitant valoriser l’apport des interventions non médicamenteuses, des soins (CARE) manuels et de relation d’aide professionnels.
Merci aussi d’avoir pris en considération notre expérience et nos conseils de réflexologues impliqués au GER (Groupe d’évaluation de la recherche) pour la mise en place du protocole (réunion en visio, partage d'expérience avec plusieurs réflexologues expérimenté(e)s et chercheuses, propositions détaillées pour le protocole : zones réflexes plantaires à intégrer, moment prévélégé pour les séances, durée, nombre). Nos recommandations ont été très appréciées, bien que toutes n'aient pu être intégrées au protocole pour des raisons de contrainte de personnel notamment.
Jézabel Gougeon, réflexologue.